RECHERCHES
Décohérence
J'ai dans mes affaires un diplôme d'infirmière que je commence à considérer avec prudence et curiosité.
Il vient de m'emmener sur Tromelin avec 4 autres aventuriers de l'isolement.
C'est un îlot d'a peine un kilomètre carré. Une île de naufragés, de voyages épiques et désastreux, d'improbable, de science, de recherche, de questions.
3 mois, un banc de sable et des oiseaux pêcheurs. Je vais enfin avoir le temps de ralentir, de m'ennuyer, et de créer.
Inspirant, ce confetti maudit où 80 naufragés ont été abandonnés pendant 15 ans. On savait bien qu'on les y avait laissés, et puis, au bout d'un moment, on ne savait plus si ça valait le coup de repasser par là (Schrödinger me poursuit jusqu'ici).
Ils l'appelaient l'île de Sable. Le temps arrêté à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer. Un sablier géant s'est brisé là. L'ogre du doute et de l'oubli les aura presque tous dévorés. 15 ans plus tard : 8 survivants. Aujourd'hui, un statut schizophrène d'île éparse administrée par Les Terres Australes et Antarctiques Françaises.
L'idée était déjà là, avant même d'embarquer sur le Marion Dufresne.
" Il y a les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer. "
Tromelin est inconnue, mystérieuse, hostile... un endroit parfait pour questionner l'accessible et l'inaccessible, le perceptible et l'imperceptible, les dimensions, les réalités multiples, la danse des possibles. Qu'allait-il naître de ce séjour ? Je ne le savais pas encore : peut-être une fresque perdue dans l'océan, peut-être un vernissage surréaliste, peut-être un carnet griffonné et quelques photos, peut être de nouvelles questions.
Une île de désolation. Un désert en cette fin de saison sèche. On aura vu la pluie 4 fois et cuit sous un ciel bleu assassin le reste du temps. Pas terrible pour les photos, cette lumière brûlante des tropiques.
Du temps ? De l'ennui ? Maintenir en état une station autonome n'en laisse pas beaucoup.
3 mois à peine.
Peu de moyens. Du papier, un étau... de quoi réaliser quelques estampes. 86 en tout, 3 matrices. Une illustration de la timidité de l'invisible : ces petites créatures qui peuplent l'île, mon armée, qui n'apparait que le soir, presque sans bruit.
Inviter à l'inaccessible.
Décohérence. C'est le moment où une réalité devient perceptible et où tout le reste s'effondre. C'est ce moment auquel j'ai voulu vous inviter.
à Tromelin
Ruissellements
Coulures, érosions, fuites et clapotis.
Dans ma peinture, les ruissellements sont omniprésents. Je les ai rencontrés dès mon premier tableau. Ils ont pour moi une signification et une fonction.
Ils sont le fruit des forces qui sculptent les paysages du sommet des montagnes jusqu’aux océans. Celles qui lient les éléments entre eux, les lois communes à l’infiniment grand et l’infiniment petit, l'essence de la matière et du vivant : l’inertie, la gravité, la capillarité, l’osmolarité .
Mes ruissellements picturaux sont la matérialisation directe observable de ces phénomènes naturels. Ni abstraction, ni figuration, la trace visible qu’ils créent est une réalité.
Le résultat est un motif rayé plus ou moins complexe dont le rythme esthétique relève de l’harmonie mathématique.
Le travail de figuration que je superpose en transparence sur cette trame en garde la vibration et la richesse nuancée.
Je suis attirée par ce sujet des rayures. Je le vois comme le motif primitif et intemporel des traditions architecturales, picturales et textiles.
Ce motif qui lie culture, habitation, habitat et paysage est une de mes principales pistes de recherche.
Empreintes
D’abord inspirée par les techniques traditionnelles de l’estampe et du gyotaku, je m’intéresse à une empreintee directe brute qui me rappelle les fossiles de mon enfance. Je creuse le sens de la trace laissée par les créatures.
Ma technique évolue pour finalement saisir les détails les plus fins en imprimant l'animal à l'acrylique sur satin. Le spectre obtenu, comme une empreinte digitale, restitue fidèlement sa singularité biologique. Débarrassé de l’influence du geste et de ma subjectivité, c'est la plastique du spécimen qui est placée au rang d'œuvre d'art.
Je visite une autre dimension temporelle : en inventant les fossiles de demain, je questionne notre regard sur les créatures qui nous entourent, notre rapport à la transformation des écosystèmes.
Telles les archives d'un naturaliste, les pièces de satin sont présentées dans les premières expositions entre deux lames de verre.
Une collection de 23 pièces est en exposition permanente à la Cité de l’Océan de Biarritz.
L’observation de ces premières empreintes m’a amenée à m’interroger sur la beauté biologique des spécimens et à porter mon attention sur les détails. Pour mettre l’accent sur les particularités de chacun, j’ai fait un travail de répétition d’empreintes. Ainsi, la forme globale du sujet disparaît, emmenant avec elle nos projections subjectives)
Il ne reste qu’une image géométrique où le vivant reste pourtant identifiable.